Arriver en bateau à Fukuoka depuis Busan est une expérience en soi. Le vent salé, le bruit des vagues, la houle, et la silhouette lointaine de Kyushu qui se dessine à l’horizon évoquent un voyage hors du temps, comme une page arrachée à un film de Hayao Miyazaki. Kyushu, cette île merveilleuse, n'est pas seulement une terre de paysages époustouflants, mais aussi une page de la culture japonaise.


À Fukuoka, les petites rues regorgent de trésors cachés. Ce sont les izakayas ou snack-bars, de minuscules établissements où l'on sert des tapas japonais succulents. Imaginez-vous, assis dans l'un de ces lieux chaleureux, un verre de saké à la main, dégustant des brochettes de yakitori tout juste grillées, tout en écoutant les chants enjoués des clients qui se lancent dans une session de karaoké impromptue. Anne-Pat, qui chante "Poupée de cire, poupée de son" de France Gall en japonais, crée la sensation et nous ouvre toutes les portes de ces lieux fermés. Ces lieux, plus que de simples bars, sont des espaces de convivialité où la joie de vivre japonaise s'exprime pleinement. Nous avons ainsi rencontré des jeunes qui, avec un anglais approximatif mais curieux, engagent avec plaisir la conversation. On s’amuse follement avec les propriétaires, souvent des personnes âgées, de petite taille, au regard touchant et espiègle que l’on appelle affectueusement mamaaaa ou papaaaa .


Nous avons pris un ferry pour Shika Island, une oasis de verdure aux portes de Fukuoka. Là-bas, nous nous sommes baignés dans les eaux peu claires de l’île, au milieu de Japonais couverts des pieds à la tête, barbotant avec une bouée sans trop s’éloigner du bord, ne sachant pas nager ! Un comble. Les buvettes locales mettent à disposition tout le nécessaire pour griller viandes et poissons, créant une ambiance joyeuse et conviviale, un joyeux bordel tout japonais.


Nous avons loué une voiture pour explorer les environs, avec un petit défi supplémentaire : la conduite à gauche. Les feux de signalisation, situés derrière les intersections, ajoutaient une touche de dépaysement. En bon dyslexique, j’ai bien besoin d’un copilote. Anne s’exécute à déchiffrer les routes. Les voitures, toutes petites, semblent des jouets d’enfants que l’on pourrait mettre dans nos poches, ressemblant à une ville Playmobil. Nos gilets jaunes ne seraient pas heureux ici : limitation à 30 km/h dans les villes, 50 km/h sur les nationales, et 80 km/h sur les autoroutes !


Nous avons quitté la ville pour rejoindre la campagne, où nous avons dormi dans une maison traditionnelle japonaise, nichée dans un charmant village. Le calme qui y régnait contrastait fortement avec l'agitation de Fukuoka. Ici, pas de restaurants pour les touristes, ils nous refusent l'entrée : il faut réserver ! Cela nous énerve au plus haut point : il fallait cuisiner soi-même. Nous allons au supermarché préféré de Mahault, le 7-Eleven, ouvert 24h/24, 7 jours sur 7. C’est simple, il y a tout dans ces petites échoppes, souvent tenues par des Indiens ou Pakistanais ! On prépare des œufs et du bacon avec du pain pour nous rappeler la maison, simple mais réconfortant, savouré dans une maison où le temps semblait s'être arrêté, au bord d’une rizière, avec en fond ces pains de sucre qui jalonnent les côtes.


Le lendemain, nous avons pris la route vers le mont Aso, l’un des volcans les plus actifs du Japon. Le paysage, sauvage et grandiose, vous saisit dès les premiers instants. Les vastes plaines herbeuses, parsemées de fumées volcaniques, créent une atmosphère presque surnaturelle. Nous avons loué une maison près du mont, et après une journée d’exploration à la recherche d’une géocache dans les chemins escarpés du mont, sous une belle chaleur, Mahault me supplie d’abandonner après 5 kilomètres d’un bon dénivelé. Son ventre a gonflé, et elle prétend avoir perdu les eaux en se tortillant comme un ver ! Bon fou rire, et bien évidemment, elle gagne son billet de retour. Comme récompense, nous avons dîné dans un restaurant gastronomique local, où la tradition japonaise se perpétue à travers des plats préparés avec soin et respect dans un petit salon privé où se glisse, avec grâce, une serveuse habillée en kimono pour nous servir ce festin. Un régal où tous les sens sont éprouvés. Chaque plat, préparé avec une précision et une attention aux détails typiquement japonais, est une explosion de saveurs qui vient parfaire cette riche journée.


Si la Corée et le Japon partagent une histoire commune, leurs cultures sont fondamentalement différentes, et le Japon gagne à tous les coups. La discrétion et le respect des espaces privés priment, le calme, la propreté des toilettes est ahurissante ; cela est certainement dû au fait que les hommes doivent s’assoir pour uriner. Notre cousine Laure adorerait ! Les métros et trains sont comme neufs, il n’y a pas un déchet par terre nulle part, et pourtant, on ne trouve jamais de poubelles. Les voitures semblent toutes neuves, tout est ici tellement bien entretenu. C’est au prix d’un effort collectif, qui peut aussi être le revers de la médaille de cette société très sage et un peu moutonnière.


Notre voyage nous a ensuite conduits aux gorges de Takachiho, un lieu mystique et enchanteur. Les eaux cristallines des rivières se faufilent entre les falaises abruptes, créant un décor digne des plus beaux animés. Nous avons passé la nuit dans un ryokan, une auberge traditionnelle japonaise. Dormir sur un futon posé directement sur le sol, avec des oreillers rembourrés d’écosses de sarrasin, est une sensation de bien-être, on est en harmonie avec la terre et cela me rappelle mon enfance. Nous dormons comme des bébés. Il faut suivre les rituels japonais avec les chaussons d'intérieur pour chaque pièce : le hall de l’hôtel, puis d'autres pour la chambre, d'autres encore pour les toilettes, et enfin pour les onsen. On a bien du mal à s’y habituer ! Les bains onsen, ces bains collectifs non mixtes, sont encore très présents partout au Japon. Ils sont composés d’une première pièce qui fait office de vestiaire ; une fois dénudé, on se glisse dans des douches où, assis sur un petit tabouret et muni d’une grande louche, on s’asperge d’eau et on se savonne. Une fois ce premier rituel effectué, on se plonge dans un grand bain avec plein de collègues hilares au petit kiki en attendant que de grandes bassines extérieures se libèrent avec leurs eaux thermales bienfaisantes, offrant un moment de relaxation intense, en harmonie avec la nature environnante. Mahault est horrifiée de cette situation et fait la grève de la baignade !


Nous avons terminé notre périple à Beppu, célèbre pour ses sources chaudes. On a rencontré un jeune producteur de musique qui a ouvert son bar pour 4 heures par jour, nous offrant un moment de délicatesse et de raffinement intense, bercés par des morceaux de jazz et une cuisine locale si fine. Nous sommes étonnés par le prix des choses, qui sont plutôt très abordables, alors que dans l’imaginaire des gens, le Japon est hyper cher. C’est même moins cher qu’en France. On verra plus au nord.


Kyushu n’est pas simplement une destination ; c’est un voyage au cœur de l’âme japonaise, où chaque étape est une invitation à la découverte et à l’émerveillement, au contact de gens très expressifs, souriants et plutôt enjoués, le saké aidant ! Un véritable coup de cœur.