Nous troquons notre mini-voiture pour le fameux Shinkansen, le TGV japonais qui traverse le pays en entier, avec un train toutes les 20 minutes à 320 kilomètres par heure. J’ai insisté pour être côté fenêtre, alors que le train ne traverse que des tunnels à la vitesse de la lumière. Je rouspète contre Mahault qui met ses pieds sur les fauteuils immaculés dans ces rames très utilisées où pas un déchet, pas une poussière, ni une trace de cutter ou de chewing-gum ne souillent ce lieu de perfection ! Elle fait honte à notre famille, à notre ville, à notre pays, à notre nation, à notre drapeau, le chef de cabine me menace d’un duel au sabre !

En l’espace d’une heure, nous arrivons à Osaka, réputée pour être la ville la plus débridée. Les immeubles sont illuminés d’écrans géants, créant une atmosphère digne du 5ème Élément avec une foule bariolée et une ribambelle de restaurants de rue. Un bon contraste avec notre île chérie de Kyūshū ! On visite le château, une oasis de verdure en ville, entouré d'un parc ouvert de 106 hectares et entouré de doubles douves en eau et d’impressionnantes murailles avec de géants blocs de pierre pouvant atteindre jusqu’à 35 m², au cœur d'une zone urbaine. J’ai eu la bonne idée d’acheter des billets coupe-file ; nous retrouvons le tourisme de masse et tous ses désagréments ! Pour fuir la foule, direction le temple bouddhiste, le Shi Tennō-ji, à la grande joie de Mahault. C’est vrai qu’ils se ressemblent un peu tous !

Nous goûtons la spécialité locale, l'Okonomiyaki du Kansai, une sorte de crêpe au chou garnie de tranches de porc, un délice ! Puis direction, toujours en train, à deux pas, le cœur historique du Japon, l'ancienne capitale Kyoto, très traditionnelle. On a de plus en plus de mal à s’adapter aux coutumes locales, notamment la traversée des passages piétons où il faut respecter à la lettre les passages et les feux, même s’il n’y a pas une seule voiture à l’horizon. On doit patienter sous un cagnard infernal que le petit bonhomme passe au vert et sa sonnerie de rouge-gorge, sous le contrôle avisé de nos hôtes qui ne plaisantent pas avec le règlement !

La horde de touristes caucasiens qui transpire se fait de plus en plus dense. On s’évade hors des sentiers battus dans la ville du matcha que Mahault vous contera. Puis, le temple Fushimi Inari Taisha est le plus grand sanctuaire shinto du Japon, situé au sud de Kyoto. Érigé en 711, la beauté de ce complexe se dévoile au gré d'une randonnée pédestre le long d'une vallée, balisée par des milliers de portiques vermillon appelés torii, à la grande joie de Mahault qui compte les marches. Le shintoïsme est une religion japonaise polythéiste issue des croyances animistes et chamaniques du Japon ancien. On y achète de petits chats que l’on choisit avec dévotion ; dedans est caché un petit parchemin qui vous dévoile votre bonne fortune ou votre infortune. Anne tire toujours l’excellence et Mahault la déchéance. On se demande pourquoi ! Non pas encore un temple.

Le chemin s’éclaircit au bout de 500 mètres quand les groupes de Chinois, guidés par des porte-fanions, déguerpissent. Mahault s’arc-boute à mes chevilles pour les suivre, mais nous poursuivons l’ascension dans ce merveilleux dédale de torii. Épuisés de ces immenses mégapoles, nous retrouvons la campagne dans la presqu’île de Izu, au volant de mon bolide qui peine à gravir les géantes collines pour rejoindre notre petit port de pêcheur, Toda, où l’on pose nos valises dans un superbe ryokan pour 3 nuits où le temps s’écoule au rythme des arrivées des bateaux de pêche et de leur cargaison. Direction la plage : Mahault et Anne veulent parfaire leur bronzage dans une magnifique petite crique remplie de Japonais toujours handicapés de la natation ! Nos gargotes et un transat, notre seul endroit où il est permis de chiller dans ce pays où il faut se tenir droit et ne pas s’asseoir sur les marches ou les fauteuils inexistants, à la rigidité maladive d’être en perpétuel état de constipation et de crispation ! D’où vient peut-être l’expression « rire jaune » !

Les filles sympathisent avec une famille péruvienne et iranienne qui vit depuis 30 ans au Japon et nous invite à pique-niquer et à dormir chez eux. Malheureusement, le typhon qui pointe son nez nous en empêche.

Nous profitons de ce moment calme avant d’affronter Tokyo qui se révèle être étonnamment endormie. Mais où sont les 23 millions d’habitants ? Mon souvenir d’une ville hyperactive s’est évanoui ; les rues sont calmes, les métros aussi. Nous avons choisi un quartier très sympa : Shin-Okachimachi, entre Ueno et Asakusa, dans un superbe hôtel nommé Hotel Ko Kurame, dans ce petit immeuble de 4 étages à la façade carrelée de faïence colorée qui caractérise ces quartiers calmes et habités de petits vieux enfantins bien sages. Durant six jours, nous nous fondons dans le paysage, adoptés par les locaux ; nous écumons les commerces du quartier et on se reconnaît le lendemain où l’on se salue avec de grandes courbettes et conciliabules, rythmés par des grognements d’extase que j’affectionne particulièrement.

C’est une ville où l’on se perd dans des quartiers tous différents avec chacun son ambiance : Shibuya, la luisante, dynamique et bobo ; Akihabara, quartier manga et électronique où des centaines de vendeurs vous proposent des crédits à la consommation pour votre prochaine télévision ou appareil photo ! Des immeubles entièrement consacrés à des jeux vidéo, jeux de musique ou jeux d’arcade, dans un vacarme assourdissant, des jeunes filles habillées en écolières qui vous servent du café en ricanant bêtement. Puis le quartier plus huppé de Ginza, Champs-Élysées tokyoïte, ou le quartier de Nakameguro, excentré au bord d’une rivière avec de petites maisons charmantes et des boutiques vintage : un coup de cœur.

Nous quittons avec regret ce bel archipel à la culture si singulière et projetons de visiter les autres préfectures du nord. Serons-nous aussi sages, disciplinés, propres, calmes, résilients, altruistes, timides et bienveillants en rentrant à Marseille ?